Conférence Sénat ’96

Compte-rendu de la conférence le 29 septembre 1996 au Sénat

Cette conférence, la première dans ce genre, s´est tenue dans les magnifiques locaux du Palais du Luxembourg et a rassemblé plus de 180 personnes. La conférence, présentée par Hervé Peyre, a été suivie d´un cocktail.

Plus de 10 000 enfants d´origine coréenne adoptés en France : plus de 10 000 personnes partageant un destin commun. C´est dans le désir de faire partager leur expérience aux parents, Coréens et aux autres adoptés que les jeunes de Racines Coréennes ont décidé de réunir à une même table diverses personnes directement concernées par ce phénomène.

Exposés :

Mme Lemire, présidente du Rayon de Soleil de l´Enfant Etranger, a ouvert le débat en nous parlant du rôle de l´association d´adoption dans la préparation, l´accueil et le suivi des enfants. Le Rayon de Soleil a confié à partir de 1975 de nombreux enfants venant de Holt. Depuis 1985, le nombre d´enfants arrivant de Corée diminue, et aujourd´hui, ce ne sont plus que des enfants bébés, nés pour la plupart de mères célibataires, qui arrivent en France.
La préparation des parents est primordiale, par les contacts avec d´autres familles, les réunions préparatoires faites pour renseigner les parents sur la vie de l´enfant en Corée, les difficultés d´adaptation (régression…), l´utilité d´une scolarisation précoce… Mme Lemire a ensuite donné des conseils précieux pour l´accueil à l´aéroport, puis a souligné le fait que le Rayon de Soleil accueille toujours les « anciens » à bras ouvert, lorsqu´ils se posent des questions sur leur identité, leur dossier… chose que les jeunes de Racines Coréennes ont eu l´occasion de vérifier à maintes reprises.
Pour finir, le Docteur Lemire s´est adressée directement aux jeunes présents dans la salle pour leur souhaiter à tous, quelle que soient leur manière de réagir, de faire de cette dualité de culture quelque chose d´enrichissant.

Pierre Verdier, ancien directeur d´une DDASS et président de la Coordination des Associations pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO) nous a ensuite parlé du problème du secret des origines qui est spécifique à la France. Une filiation, pour être complète, doit en effet comporter trois axes : biologique, affectif et juridique (l´enfant hérite d´un nom). Or s´il dispose déjà d´une filiation affective et juridique, l´enfant adopté se voit souvent refuser sa filiation biologique, ce qui est injuste et injustifié.
Monsieur Verdier a ensuite esquissé un historique du secret, pour souligner le fait qu´il s´agit là d´un anachronisme qui n´a plus lieu d´être. Ce secret est souvent vécu par les intéressés comme une violence : l´enfant est blessé dans sa quête d´identité et se sent victime d´une incroyable injustice. On ne peut pas vivre sans passé, sans souvenir, sans racines. C´est par exemple la raison pour laquelle beaucoup de jeunes femmes ayant été adoptées se refusent à avoir un enfant, tant qu´elles ne connaissent pas l´identité de leurs parents biologiques : on observe d´ailleurs qu´il y a plus de femmes qui effectuent la démarche.

Madame Maury, auteur d´une thèse en psychologie sur l´adoption des enfants coréens, nous a ensuite parlé des quatre parents de l´enfant adopté. Tous les bébés ont quatre parents : deux qui sont « entièrement méchants », deux « intégralement gentils ». Puis, lorsqu´il se rend compte qu´il n´en a que deux, il refoule ses mauvais sentiments sur des personnages imaginaires (fée carrabosse, croquemitaine) ou bien s´invente un roman familial : « mes parents ne sont pas mes vrais parents »…. Or pour les enfants adoptés, cette histoire a un fondement réel. Le problème est que les parents ne peuvent rectifier les propos de l´enfant, dans l´ignorance qu´ils sont souvent de la véritable histoire.
Les sentiments de l´enfant adopté envers ses parents biologiques sont souvent ambigus et fluctuent selon l´âge entre respect, haine et culpabilité. Et il est important que les parents adoptifs gardent une position de neutralité prudente et, tout en le soutenant dans ses recherches éventuelles, laissent l´enfant décider lui-même de ce qui sera, dans son identité, sa part coréenne et sa part française,

Témoignages :

Claire Bourget a 22 ans et fait des études de gestion. Elle est arrivée en Corée à dix-huit mois avec une petite coréenne de six mois qui est devenue sa soeur. Toutes deux réagissent de façon très différente à l´adoption : sa soeur se sent française à cent pour cent et ne s´intéresse pas du tout à la Corée, contrairement à Claire qui est allée deux fois en Corée : en 1994, elle a retrouvé son père, en 1996, elle a retrouvé sa mère.
Claire voulait avant tout savoir à qui elle ressemblait, avoir une preuve tangible de son existence. La rencontre a été difficile, car ses parents étaient deux étrangers qui ne parlaient pas sa langue : en somme, retrouver ses parents a été comme une nouvelle adoption. Elle est passée ensuite par tous les sentiments possibles à leur égard, de l´amour possessif à la haine : elle a ainsi exorcisé tous les sentiments accumulés depuis vingt ans. Mais maintenant qu´elle a retrouvé ses parents biologiques, qu´elle a quatre parents, elle souhaite les garder.
Ses parents français ont très bien réagi et l´ont toujours soutenue dans ses démarches. Ce soutien a été décisif pour elle, car il lui a permis d´aller jusqu´au bout, en se sentant aimée.

Les parents adoptifs d´une jeune fille qui a entrepris les démarches pour retrouver ses parents biologiques ont ensuite témoigné. Leur enfant est arrivée à six mois, alors qu´ils avaient déjà trois enfants biologiques. Ils ont donc adopté par plaisir, parce qu´il leur semblait important d´avoir une famille ouverte.
Ils ont toujours essayé de communiquer à leur fille leur respect envers le courage qu´il a fallu à sa mère biologique pour la laisser partir : le seul geste d´amour qu´elle pouvait faire, elle l´a fait. De même, ils ont toujours éveillé l´intérêt de leur fille pour la Corée, en faisant notamment un voyage là-bas avec leurs quatre enfants.
Or, s´ils acceptent l´idée qu´elle fasse des démarches pour retrouver ses parents biologiques et la soutiennent même, ils reconnaissent que ce ne sera pas facile de partager, mais dans la mesure où c´est un choix de leur enfant, il le respectent.

Questions-débat :

Pendant le rapide débat qui a suivi, l´accent a été mis sur le fait que c´est souvent la séparation des deux parents bien plus que l´extrême pauvreté qui fut à l´origine de l´abandon en Corée. Mme Lemire a aussi évoqué les enfants ayant déjà été adoptés par un couple coréen qui, à la suite de la naissance d´un enfant biologique, avait rejeté l´enfant adopté.
Il est intéressant de constater qu´il n´existe par d´autres associations regroupant les adoptés d´autres origines, ceci étant particulier aux enfants coréens.

Michel Szymanski, à qui est revenu le mot de la fin, a retenu de cette conférence le mot « racines », comme origine, mais aussi comme vécu, histoire, et le mot « personnalité » : chaque expérience est différente, il n´y a pas une réponse unique.
Si les problèmes tels que le racisme, auquel les jeunes adoptés d´origine coréenne sont confrontés, ont été évoqués, il s´avère en effet que ces enfants sont aussi et surtout un pont entre deux cultures pour tous ceux qui les entourent.

Si cette conférence a été un succès, c´est qu´elle fut le fruit d´un formidable travail en commun. Un grand merci donc à toutes les petites mains qui nous ont aidés si efficacement, et surtout à toutes les personnes qui se sont investies dans ce projet : Hervé, Michel, Corentin, Sophie, Alexandre, Guillaume, Maryse, Rozenn, Frédéric, Léa, Vino… Autant de personnes, qui continuent de faire fonctionner l´association après mon départ pour Vienne, autant d´amis dont la fidélité et l´enthousiasme m´ont confortée dans le chemin que nous avons décidé de prendre, avec Marie Franville, il y a déjà deux ans. Aujourd´hui, Marie est en Corée et je vis à Vienne, mais la relève est là, plus active que jamais !

Yolaine CELLIER