Racines coréennes et l’intérêt supérieur de l’adopté

Décembre 2007, par Racines coréennes

Préambule

La plupart des textes internationaux (Convention internationale des droits de l’enfant, convention de la Haye…) ou nationaux (Code de l’action sociale et de la famille, Code civil…) traitant de l’adoption fondent expressément l’adoption des mineurs sur l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aucun n’en propose une définition explicite. Si cette démarche permet aux autorités et aux professionnels de s’adapter aux besoins de chaque enfant et aux capacités de chacun d’y répondre, il paraît malgré tout important d’apporter quelques éléments de réflexion permettant de recadrer cette notion sur l’adopté lui-même, et ce afin d’éviter toute dérive liée par exemple à la médiatisation de certaines adoptions et surtout à l’augmentation du nombre de parents en désir d’adoption dans les pays industrialisés.
Car, même s’il faut noter des avancées importantes en matière d’adoption en France, notamment dans le cadre des contrôles des organismes agréés pour l’adoption ou des procédures d’agrément pour les candidats à l’adoption, il n’en reste pas moins que le principe de l’intérêt supérieur des enfants adoptés est essentiellement défini et encadré par les représentants des familles et par des professionnels, eux-mêmes souvent parents adoptifs.

Ainsi, cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant recoupe pour une large part la notion de protection de l’enfance, née de la nécessité de protéger les enfants privés de parents, mais aussi de la nécessité de protéger la famille adoptive nouvellement constituée. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause cette nécessité première, mais de recentrer le débat sur la personne adoptée et de la prendre comme point de départ de la réflexion. En d’autres termes, il s’agit moins de se poser la question : « Que pouvons-nous apporter à cet enfant ?», question centrée sur les adultes qui entourent l’enfant, mais plutôt de se demander : « De quoi a-t-il besoin pour grandir comme tous les autres enfants et devenir un adulte responsable, autonome et acteur de sa vie ? »

Les premières générations d’adoptés sont aujourd’hui des adultes capables de s’exprimer sur le sujet et sont parfois organisés en associations. Ecouter leur parole est un premier pas vers ce recentrage sur l’adopté. Car s’il ne s’agit en aucun cas d’opposer l’intérêt des parents à celui des enfants, la manière d’appréhender cette expérience de vie qu’est l’adoption est, elle, complètement différente que l’on soit parent ou enfant. La clarification des termes et le partage d’expérience peuvent ainsi contribuer à éviter les non-dits et les malentendus qui sont parfois lourds de conséquences.
Cette contribution se veut donc une pierre de plus pour construire le dialogue nécessaire entre différents acteurs et parties prenantes de l’adoption dans l’intérêt des adoptés et donc de leurs familles.

Le besoin de respect dans la démarche d’adoption

L’intérêt supérieur de l’adopté passe tout d’abord par le respect de sa personne, et ce dès la démarche d’adoption, ce qui signifie respect de sa famille et de son pays d’origine.
La personne adoptée est en effet autant le fruit de ses origines que de son adoption. La respecter, c’est donc tout d’abord respecter sa famille et son pays d’origine dans les démarches mêmes, voire les motivations qui poussent à adopter. Pour cela, le rappel de certains principes est nécessaire :

* Respect de la famille d’origine et du droit de l’enfant à être élevé par ses parents :
l’adoption n’est qu’une solution ultime à une situation dramatique pour un enfant (séparation irrémédiable et irréversible de l’enfant de sa famille), solution qui consiste en une rupture affective et identitaire qu’il convient en amont d’éviter par tous les moyens. L’adoption ne peut en aucun cas être la réponse à une recrudescence du nombre de parents en mal d’enfants.

– La détresse économique ne devrait par exemple en aucun cas être cause d’abandon donc d’adoption, car si l’on raisonne en termes d’intérêt supérieur de l’enfant, le parrainage offre sans nul doute une réponse beaucoup plus adaptée. Or la situation économique est souvent la première cause de l’adoption internationale où ce sont exclusivement des enfants de pays en voie de développement ou en transition qui sont adoptés par des parents de pays industrialisés. La réponse à l’augmentation du nombre de parents en désir d’adoption est donc moins à trouver dans une réforme de l’adoption et de ses procédures que dans une réflexion sur la fécondité des pays industrialisés.

– Les parents titulaires d’agrément doivent prendre conscience qu’entreprendre des démarches individuelles dans les pays d’origine a pour conséquence directe, par l’effet de nombre, une incitation voire une pression sur les familles d’origine. Il faut savoir aussi que toute démarche peu respectueuse des procédures engendre et nourrit les trafics ou activités d’intermédiaires peu scrupuleux.

*Respect du pays d’origine et du principe de subsidiarité selon lequel l’adoption internationale ne peut intervenir que lorsque aucune autre solution ne peut être trouvée pour l’enfant dans son pays d’origine.

– Comme est rappelé dans la Convention internationale des droits de l’enfant, l’adoption n’est qu’une des formes de protection de remplacement, or dans le choix de la protection de remplacement, « il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique » (article 20-1). Selon le principe de subsidiarité, l’adoption internationale ne peut donc intervenir que lorsque l’adoption nationale ou les protections de remplacement sont insuffisantes : « l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé » (article 21- b). Il ne faut pas oublier qu’adopter à l’étranger signifie arracher brutalement un enfant à son environnement, sa langue, ses repères et que l’enfant adopté sera ensuite condamné à être vu en permanence comme un immigré dans son pays d’adoption et à être bien souvent victime du racisme quotidien avec lequel les immigrés sont traités.

– Le respect du pays d’origine implique aussi le respect strict des lois et des règlements du pays d’origine lors de la démarche d’adoption. Par exemple, le débat sur la Kafala ne doit pas être l’occasion d’une tentative de pression sur les pays de droit musulman sous prétexte que la Kafala n’est pas une filiation de substitution à part entière comme l’est l’adoption plénière en France.

– Les adoptants doivent veiller à ne pas entretenir une concurrence déloyale avec les adoptants du pays d’origine, par une trop grande générosité financière vis-à-vis des organismes qui s’occupent des enfants par exemple. Toutes les démarches doivent du début à la fin respecter les principes cités ci-dessus, et les parents adoptifs doivent pouvoir en répondre plus tard en toute transparence et en pleine conscience.

Le droit d’être un adulte en devenir

Le fait est que 72 128 enfants d’origine étrangère ont été adoptés en France ces 25 dernières années et qu’environ 4000 viennent s’y ajouter chaque année. Tout en veillant à ce que l’adoption internationale ne soit pas une fin en soi, il est nécessaire de prendre en compte cette réalité et de proposer une réflexion qui permette d’améliorer la situation de ces personnes. Ainsi, parler d’intérêt supérieur de l’adopté signifie aussi lui reconnaître un certain nombre de droits essentiels à sa construction, notamment celui de pouvoir se réapproprier son histoire.
En effet, la vision « parentale » de l’intérêt supérieur de l’enfant tend à être centrée sur la protection et l’amour dont il doit être entouré. Or l’enfant adopté est certes un être fragile à protéger, mais aussi une personne en devenir qui, comme les autres, a le droit d’avoir à sa disposition la boîte à outil lui permettant de se construire et de s’approprier petit à petit son identité.
Il convient donc d’ajouter au droit d’avoir une enfance protégée, qui est et reste fondamental, celui de pouvoir se construire une identité et s’approprier son histoire. En d’autres termes, il s’agit de reconnaître aux enfants adoptés le droit de ne pas rester éternellement enfants, mais de devenir eux aussi un jour des adultes. A partir de ce constat, nous souhaitons attirer l’attention sur plusieurs « droits » qui ne sont pas exclusifs des autres plus souvent cités (en matière de protection de l’enfance notamment), mais tendent parfois à passer pour secondaires :

* Le droit d’être un enfant comme les autres. Face à la tendance qui consiste parfois à mettre trop en avant les spécificités des adoptés au détriment du besoin vital qu’ont tous les enfants adoptés d’être avant tout des enfants comme les autres, nous rappelons que l’enfant adopté a le droit de grandir tranquillement, sans qu’il lui soit rappelé sans cesse sa spécificité.

– Ainsi les parents, tout en étant ouverts, doivent veiller à ne pas lui imposer un intérêt artificiel pour son pays d’origine par exemple, ce qui peut être vécu comme pénible, voire comme inquiétant (« s’ils m’en parlent tout le temps, c’est qu’ils veulent peut-être m’y renvoyer »). Il est préférable que les parents ancrent pleinement leur enfant dans leur propre histoire et leur propre culture : on ne peut donner que ce que l’on est. On adopte avant tout un enfant, c’est-à-dire une personne, pas le pays et sa culture, ce qui n’empêche en rien les parents de rester disponibles et ouverts sur les intérêts et les questionnements que leur enfant peut avoir pour son pays d’origine.

– Ne pas prendre l’adoption comme cause de tous les problèmes : les enfants adoptés ne sont pas plus épargnés que les autres par les névroses familiales, névroses qui sont, pour eux comme pour les autres, les premières causes de leurs problèmes, blocages et peurs !

* Le droit de se réapproprier son histoire et son identité :

– La sincérité absolue des parents est une première condition pour que l’enfant puisse grandir dans la confiance et se structurer. C’est la raison pour laquelle toutes les démarches d’adoption doivent avoir été faites dans le plus grand respect et la plus grande transparence possible : les parents ne doivent en aucun cas avoir des choses à cacher à leur enfant. Il s’agit au contraire de lui dire ce qu’ils savent dans le respect du rythme et de la maturité de leur enfant, selon deux règles d’or :
1) toute la vérité ne peut pas toujours être dite tout de suite, mais tout ce qui est dit doit toujours être vrai ;
2) un petit secret caché est souvent plus cruel qu’une vérité crue.

– Il importe que les parents se montrent explicitement ouverts à d’éventuelles démarches de leur enfant pour retrouver ses origines (culturelles ou familiales). En effet, de nombreux adoptés ressentent à un moment donné, moment qui peut être très différent selon les individus voire ne jamais arriver, le besoin de rechercher leur famille biologique, mais ils n’osent le faire de peur de blesser leurs parents adoptifs et restent de nombreuses années en situation de blocage dans leur évolution psychologique et dans la construction de leur identité. Certains attendent même la disparition de leurs parents pour entreprendre des démarches, ajoutant ainsi à la culpabilité de faire quelque chose de mal celle d’être soulagés de voir leurs parents mourir pour satisfaire un besoin vital.
Or avoir besoin de rechercher ses origines est légitime : car les origines d’une personne, c’est d’une part la source de son existence, donc son ancrage dans le monde, c’est aussi son héritage biologique, la couleur de sa peau, sa morphologie, ses antécédents familiaux… autant d’éléments qui ont une influence directe sur son quotidien et qui seront transmis à ses propres enfants. Cette remarque s’inscrit du reste dans une réflexion qui ne se limite pas à l’adoption mais touche aussi certaines méthodes de procréation assistée, notamment celles qui font appel à des dons de sperme ou d’ovule qui sont loin d’être de simples interventions médicales anodines.
Il importe donc que les parents comprennent qu’entreprendre de telles démarches ne signifie en rien remettre en cause l’adoption ou l’amour de leurs parents : c’est un travail de réappropriation d’une partie de son histoire qui porte sur l’abandon, un travail de deuil de son histoire passée et de sa « première vie » d’avant l’adoption, en d’autres termes c’est un travail de « préparation » à l’adoption mais a posteriori. Ce sont des moments où les parents doivent, plus que jamais, jouer pleinement leur rôle de piliers : leur enfant, quelles que soient ses motivations ou ses interrogations, doit, encore plus dans ces moments-là, ressentir qu’ils sont et resteront toujours ses parents.
– Les parents ne doivent pas non plus essayer de s’approprier l’histoire passée de leur enfant : qu’ils s’y intéressent est légitime, mais ils doivent avoir conscience que cela fait partie de ce qui appartient à leur enfant seul, comme un jardin secret qu’il peut seul décider de partager. Les parents peuvent le soutenir et proposer de l’accompagner dans ses démarches, mais en aucun cas les faire à sa place.

(…)

En guise de conclusion…

Plutôt que de mettre en avant l’« intérêt de l’enfant » devant tout autre intérêt, nous préférons élargir cette notion aux « besoins de l’adopté », qui sont avant tout des besoins de respect pour toute sa personne, mais aussi d’écoute et de disponibilité pour ses éventuels questionnements. Il ne s’agit donc en aucun cas de vouloir modifier radicalement l’état actuel du droit en matière d’adoption, mais simplement d’attirer l’attention sur la nécessité de recentrer la problématique sur la personne adoptée, en rappelant d’une part que l’adoption ne doit jamais devenir une fin en soi mais n’être qu’une réponse parmi d’autres au drame que constitue pour un enfant la perte de ses parents, d’autre part que l’enfant adopté est aussi et surtout une personne en devenir qui a besoin comme tout le monde de se réapproprier son histoire afin de pouvoir construire son identité et, en définitive, trouver son ancrage dans ce monde.

Fait à Paris, le 27 décembre 2007
David HAMON,
Kim LINARD,
Yolaine CELLIER,
pour Racines coréennes

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