Hélène

Les yeux bridés, le cœur aveyronnais

publié in revue Accueil, n°156, sept. 2010, Enfance et famille d’adoption

Il y a deux ans, lors de mon intervention au congrès national EFA à Marseille le 17 novembre 2007, j’ai tenu des propos qui visaient à embrasser le « chemin » de ma construction identitaire d’adoptée d’origine coréenne (identification, image de soi et rapport au corps). J’ai confié de vive-voix à vos membres présents en quoi je m’attachais avec pugnacité à trouver une place dans la Cité, forte de ce que j’ai manqué et forte de ce que j’ai reçu, capitalisant sur ma culture que je percevais comme devant être nécessairement métissée (française et coréenne) et sur celle des autres, ou comment par exemple à travers un projet de trajectoire professionnelle sous le signe de l’interculturalité (les éditions Chan-ok), je tentais de consolider une altérité entre la Cité et moi.

Adoptée et arrivée en Aveyron à l’âge d’un an, ma famille a érigé les fondations de ma filiation psychique et sociale avec simplicité et amour, pudeur et respect.

Le passage par l’adolescence a fatalement dramatisé des questionnements sur ma filiation biologique, sur mes origines. Alors était inéluctable l’incompréhension identitaire, liée aux conditions de l’avènement de l’individu que j’étais, avec des élucubrations autour d’une naissance insensée (être abandonné) et d’une existence inutile (être orphelin) ; inéluctable aussi la révolte contre ce « capital départ » d’infortune affective et d’incertitude (pouvoir être adoptable), s’exprimant par le rejet du pays natal dans toute son étendue culturelle (survivre à son histoire) ; inéluctable enfin l’estime de soi, affectée par une différence physique (assumer son corps) renvoyée chaque matin frontalement par le miroir de la salle de bain…

Jeune adulte, mes peurs, celle de ne pas « trouver ma place » dans la Cité, ou d’être abandonnée par la Cité, ont forgé une volonté d’agir, de créer un environnement dynamique et surtout à mon avantage, sans carence, à inventer et produire du sens et à donner du sens, notamment par le travail. Ceci, à l’instar de ma famille, qui a toujours su accompagner discrètement mon système de représentation, en me laissant grandir « libre », en étant bienveillante et présente, pudique sur la question du rapport à l’adoptivité, en m’éduquant tout simplement. Ma famille m’a rassuré sur la « force » de ce qui s’est installée, ma culture post-adoption, celle de la Cité, la filiation de l’amour et l’amour de cette filiation, et de fait, la « valeur » ou l’« attention » que j’accorde à « ce qui n’est pas », ma filiation biologique, n’a jamais été dénigrée.

Il y a deux ans, j’avais conclu mon intervention sur le sens que j’espérais donner à ma vie, la perfectibilité de mon identité et de celle des autres. Aujourd’hui, mes nouvelles activités de vice-présidente de l’association Racines coréennes me donnent l’opportunité de réfléchir, d’assainir ma relation à l’histoire mystérieuse de ma venue au monde, d’écouter les histoires des autres, et en fait de relativiser ma propre quête d’identité biologique. En effet, celle-ci se calme grâce à un sentiment d’appartenance parmi les membres de Racines coréennes et parce-que la quête de ma stabilisation sociale m’occupe beaucoup plus quand ce processus m’épanouit psychiquement.

Ainsi, je m’interroge sur la réalité d’une intéraction entre le souhait latent de mieux connaître mon pays d’origine, qui fait partie intégrante de mon quotidien, et la quête de mon identité biologique, qui s’est aujourd’hui atténuée. (Serait-ce le signe d’une nouvelle maturité ?) Pour autant, il convient de rassurer ma famille sur son éventuelle appréhension à ce que le souhait de mieux connaître mon pays d’origine puisse avoir un effet de vase communicant avec le sentiment de mon appartenance à la Cité, ma Cité. Peut-être ma filiation biologique détermine ce que je suis, mais assurément elle ne corrompt pas la « force » de ma filiation psychique et sociale pour la simple raison que l’écho à mes racines se situe dans ma vie à venir, dans mon avenir. Mon intime projet de devenir mère de famille un jour en est certainement la plus belle des significations, n’est-ce pas ?

La détermination de l’individu par l’origine ne prévaut en rien si l’individu possède ni idéal psychique ni idéal social. Mon modèle idéal à moi est ma famille aveyronnaise… parce que mon cœur est aveyronnais.