Joël

Joël Meissonnier a effectué son mémoire de maîtrise : “Coréen de naissance et Français par adoption. Le voyage au pays des origines et son inscription au coeur de l´identité des adoptés ». A cette occasion, il a interrogé une quinzaine d´adoptés ayant pour la plupart déjà effectué au moins un voyage en Corée.

Point de vue sociologique

C´est dans le cadre de mes études en Sociologie que je viens de terminer un mémoire de maîtrise dont le thème porte sur l´adoption. Plus exactement, je me suis intéressé au voyage en Corée que certains Coréens adoptés décident de réaliser quand ils en ressentent la nécessité et quand ils en ont l´occasion et les moyens financiers. Ce pays inconnu pour certains, dont il ne subsiste que des souvenirs pour d´autres, reste une destination très singulière. Je tente d´analyser ce voyage en m´appuyant sur des citations des Coréens adoptés que j´ai interviewés.

Les comportements de deux individus ne sont jamais identiques et chacun, évidemment, est différent de son voisin. Néanmoins, on peut déceler des «pôles de comportements» desquels les individus se rapprochent seulement. Ainsi, je tiens à mettre en garde les Coréens adoptés qui liront cet article… Qu´ils n´aient pas d´inquiétude s´ils ne se reconnaissent qu´en partie dans les descriptions, forcément réductrices, que je vais faire.

Parmi les adoptés qui partent en Corée, il m´a semblé qu´un certain nombre ne réalise pas un voyage ordinaire mais un voyage «identitaire». Ces personnes sont sensibles à «l´appel» de la terre de leurs origines. Pour d´autres au contraire, le voyage en Corée doit rester «un voyage parmi d´autres», un voyage qui n´a pour ambition de retrouver ni son passé, ni sa famille coréenne.

Pour les premiers, l´objectif n´est pas toujours aisément avoué : parce qu´il est intime. “Avant de partir, je m´occultais beaucoup de choses. Je me disais : «Je suis une étudiante comme les autres» et je partais faire un voyage”.

On part en Corée pour «savoir» : pour savoir pourquoi et comment on a été abandonné, pour savoir où on est né, pour savoir qui sont les Coréens, mais surtout, pour savoir qui sont ses parents et quelle est sa famille. Ce voyage identitaire est une recherche de réponses à des questions souvent brûlantes : “J´y suis retourné pour retrouver mon père”. Ou encore : J´ai “cherché à comprendre pourquoi mes parents m´avaient abandonnés”. Il ne s´agit donc pas d´un voyage ordinaire : “Pour moi, ce n´était pas comme si j´allais en Turquie faire du tourisme. C´est mon pays”.

Pour les seconds, le voyage en Corée est avant tout un voyage à «l´étranger» : “C´était pour moi un pays d´Asie comme les autres”. Il n´est donc pas question de s´y sentir «chez soi». Les Coréens sont des étrangers. Autrement dit, en Corée, on s´y sent et on s´y dit Français, “à cent pour cent!”. Là-bas, il n´est d´ailleurs pas question de retrouver ses parents, reconnaissent deux soeurs : “On nous a proposé de les revoir mais nous on ne voulait pas. Vis à vis de nos parents adoptifs ça nous gênait. Et puis on leur en voulait un peu aussi… Si vraiment on veut garder (et ne pas abandonner) un enfant, on le peut. Mais c´est pas spécifique à nos parents (coréens) d´être dégueulasse, il y en a plein”. Le voyage peut donc n´être le fait que d´une simple curiosité. Mais, semble-t-il, les parents insistent parfois pour que leurs enfants adoptés connaissent la Corée. Ils sont en grande partie à l´initiative de ce type de voyage : “C´est ma mère qui a organisé ce voyage”. Ou bien, “Mes parents me proposaient d´y retourner dès 11 ans, mais je ne voulais pas”.

Un voyage identitaire…

Les adoptés qui partent en Corée pour des raisons «identitaires» se fixent des objectifs à atteindre absolument. Les efforts et les démarches entrepris pour découvrir des indices et mieux connaître ses racines témoignent d´une très grande persévérance et même d´un acharnement. Mais arrivés en Corée, quand ces adoptés accèdent enfin à l´opportunité de retrouver leurs parents, leur famille et leur passé à la fois, les objectifs semblent subitement s´essouffler. Ce phénomène très particulier peut s´expliquer de la façon suivante : Les adoptés cherchent à connaître et à «savoir» quel a pu être leur passé; il y a comme un secret à découvrir… mais quand on sait enfin qu´on a les moyens d´accéder à ce secret, on refuse de l´atteindre parce qu´on ne veut pas y «retomber». Revoir sans être vu, tel est l´objectif contradictoire des adoptés : “Je ne voulais pas bouleverser la vie de mon père (coréen) : je voulais juste le voir”.

Néanmoins, certains adoptés vont jusqu´au bout de leurs ambitions : ils retrouvent leur famille coréenne. Les récits sont étonnants. Pour certains, l´expérience est troublante et décevante car, à travers cette rencontre, deux cultures qui ne se connaissent pas se découvrent mais aussi s´opposent : “… Quand j´étais chez mon père, fallait que je me coiffe comme ci, que je m´habille autrement… (…) j´ai vraiment eu l´impression d´être un petit animal dans cette famille”. Ainsi, ces adoptés reviennent-ils déçus de leurs retrouvailles : “Je n´ai plus rien à voir avec eux!” ou bien : “J´ai été déçue de ma rencontre avec ma mère…” Ils en concluent que leur seule et unique famille est française: “Cette famille là, c´est MA famille, comme pour une Française normale”, ou bien : “D´y retourner, je me suis rendu compte à quel point j´aimais (mes parents adoptifs)”.

Mais d´autres, qui ont des expériences moins négatives avec leur famille coréenne décident de faire une sorte de compromis : “Ma vie est en France. Mais y a quand même une place pour ma famille en Corée”. Ou bien : “En revenant, j´avais tellement bien été accueillie que j´avais deux familles”. Quoi qu´il en soit, cette recherche identitaire en Corée n´est pas dénuée d´un certain malaise : J´avais “un malaise, je pensais à mes parents adoptifs et c´était un peu comme une trahison par rapport à eux.”

Des retrouvailles…

Le hasard des retrouvailles crée des situations complexes et multiples. Une jeune fille m´explique ses difficultés pour retrouver son père : “…on a rendu visite à l´orphelinat. Le directeur nous disait qu´il pouvait nous montrer nos dossiers. (…) Mais au Holt, ils sont très méfiants : cette femme, elle ne se rendait pas compte qu´elle parlait à un enfant qui s´était posé des questions pendant 18 ans. Elle me disait que mon père ne voulait pas me revoir… alors que c´était faux!” Ce n´est qu´après une grande persévérance et un second voyage que cette adoptée finira par retrouver son père.

Mais parfois, la recherche des parents peut être beaucoup plus rapide : “en moins de 24h, c´était trouvé”. La plupart du temps, les surprises sont grandes: “J´avais l´impression d´être dans un roman”. C´est le cas de cette adoptée qui retrouve les traces de son père : “Sa femme, elle est coiffeuse. Apparemment, mon père était devenu quelqu´un de très respecté… ça m´a fait bizarre : il était déchu et en 10 ans il a réussi à faire des études de théologie…? (…)” Et puis ; “je me suis dit, «Mais comment est-ce possible qu´il ait une femme aussi jeune?»”. Cette adoptée est curieuse mais elle ne veut pas l´être trop non plus : “Moi, ce que je voulais surtout, c´était ne pas m´immiscer dans sa vie s´il n´en avait pas envie”. Finalement, un ami “a alors téléphoné a mon père et lui a appris que j´étais revenue. Mon père était heureux que je sois en bonne santé, de savoir que j´étais étudiante… On est revenu et au moment où on est arrivé dans l´appart de mon amie, le téléphone sonne, c´était mon père! Il a dit qu´il arrivait. Il chialait au téléphone. Moi, finalement, je ne voulais pas lui parler et je chialais à côté”. Arrive alors le moment de la rencontre avec son père : Là “j´ai pris une attitude assez étrangère. J´ai ironisé en me défendant d´avoir toute émotion, c´était de la désinvolture. Quand mon père est arrivé, c´était l´angoisse, physique. Et je ne l´ai pas reconnu! Il avait changé. J´étais déçue, il ressemblait à tous les autres Coréens, tel que les voient les yeux d´une Française. Lui et ma copine coréenne ont parlé ensemble. Moi, j´éprouvais le besoin de commenter en Français, «Tiens, il est excité comme une puce». C´était ma défense, je ne voulais pas me laisser envahir par l´émotion. Le premier moment a été désagréable, je me suis rendue compte que la langue restait une barrière”. Mais cette rencontre n´a pas été uniquement négative : “Et puis il m´a dit «On va voir ta tante». Là, j´y suis allée avec ma copine française, elle parlait mieux coréen que moi. (…) En arrivant chez ma tante, elle a couru vers moi, elle m´a embrassée, ça c´était un contact vrai! Elle m´a montré qu´elle m´avait regrettée. Et puis j´ai reconnu les lieux. Elle, elle a pas déménagé, elle est restée pauvre. Il y avait de vraies émotions”. Cependant, les oppositions culturelles restent présentes : “Mon père m´a demandé ce que je faisais à Paris… et puis, très vite, il m´a demandé si j´étais avec quelqu´un. Je lui ai dit oui, avec un Français. Alors là, il a dit «Mon Dieu pardonnez-moi». Moi, j´étais agacée, j´ai pas aimé cette attitude de Coréen con. J´avais l´impression qu´à ses yeux, j´étais une ratée”. Finalement, les retrouvailles se termineront dans les pleurs… ”Et là j´ai craqué…” elle a alors déclaré à tous les membres de sa famille : “«je suis française» et elle leur explique qu´elle n´a plus rien à voir avec eux!”

Un autre adopté m´explique qu´il a retrouvé son frère coréen. “Lui, il était très envieux. Il n´était pas jaloux mais il avait des regrets de ne pas avoir fait des études, de pas avoir voyagé (comme moi). Moi, je trouvais que j´avais le beau rôle, c´était de la gêne, j´avais de la chance. Mais inversement, il y a eu des moments où c´est moi qui enviais mon frère qui était resté au contact de l´affection de notre grande soeur”.

Certains adoptés ont fait des séjours exceptionnellement longs : “C´était bien de pouvoir vivre chez ses parents pendant un an et demi. C´était un peu une aventure quand même. J´étais parti tout seul dans un pays où je ne connaissais personne et je ne parlais pas un mot de la langue. J´ai dû me débrouiller avec l´adresse, un taxi m´a amené jusqu´au poste de police. Ma famille n´habitait pas trop loin. Ça a été compliqué d´expliquer pourquoi je venais. Et puis le décalage, la nourriture, c´était dur. Il m´a bien fallu deux mois pour m´habituer. C´était pénible parce que ma mère surtout est traditionaliste. Elle a voulu me bichonner. Ça ne m´a pas trop plu. J´aurais pensé être plus libre…”

Des bouleversements……

Ce qu´il est important de retenir de mon étude du voyage-retour des Coréens adoptés en Corée, c´est qu´il entraîne souvent des bouleversements majeurs. C´est notamment le cas des adoptés qui y partent pour des raisons identitaires (de ceux qui ont des questions auxquelles ils aimeraient répondre). Ainsi ai-je pu recueillir de telles déclarations… A propos de son père, une adoptée déclare : “Avant de le revoir, je l´adorais”. Ou bien encore : “Maintenant, dans la réalité, j´ai vu à quoi consistait cette famille coréenne”. Il ne faudrait donc pas penser que le voyage confirme les préjugés ni s´imaginer trouver en Corée tout ce que l´imagination des adoptés a pu reconstruire de ce pays. Le voyage vient donc créer un bouleversement : “Le voyage, ce n´est tout de même pas la réalisation du rêve de notre vie”. Ou bien : “J´avais tendance à idéaliser ma famille coréenne. D´ailleurs je me sentais parfois plus proche de ma famille en Corée. Après le voyage j´ai remis un peu les choses dans le bon ordre”. Le bouleversement peut donc être une prise de conscience de la distance culturelle qui sépare la Corée de la France. Le voyage vient clôturer une période d´hésitations identitaires et de vif intérêt pour la Corée.

A l´inverse, le voyage peut être un déclencheur. Le bouleversement vient «dé-construire» les certitudes des adoptés qui ont la trop grande certitude d´être Français. S´entame alors une période d´intérêt pour la Corée et de recherches identitaires : “En rentrant (en France), je me suis bagarré pour faire admettre que la Corée avait changée”.

Qu´il vienne apporter des doutes à ceux qui ont trop de certitudes ou bien des certitudes à ceux qui hésitent, le voyage semble impliquer des bouleversements qui permettent à tous les adoptés de grandir. Il semble leur permettre de mûrir l´ajustement identitaire qu´ils choisiront de se donner. Il n´en reste pas moins que l´identité n´est jamais «donnée» une fois pour toute, ainsi le voyage n´apporte-t-il aucune réponse qui ne soit à jamais irréversible.

Avant de mettre un point final, je profite encore de ces quelques lignes pour remercier l´association Racines Coréennes pour son concours, ainsi que les nombreux Coréens adoptés qui avaient accepté de me répondre par courrier mais qui n´avaient pas fait de voyage et que je n´ai donc pas rencontré.

Je conclurai en laissant chacun méditer la réponse qu´apporte une chanson du groupe Tri Yann dans laquelle les auteurs se demandent s´ils doivent se considérer Bretons ou non. Leur réponse est la suivante :

A chacun, l´âge venu,

La découverte, ou l´ignorance.

Joël Meissonnier