Voyage d’été 2010

par David

voir : ICI

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par Nathalie

Allez, c’est fait : ce voyage auquel je pense, depuis 4 ans, que je prévois, que je décale, toujours avec une énième bonne raison de prendre l’avion pour d’autres latitudes. Corée, me voilà ! L’arrivée à l’aéroport plante le décor : hangul sur toutes les signalétiques. OK, Nathalie, tu comprends rien mais c’est pas grave : c’est toujours agréable de ne pas faire partie de la minorité visible alors continue à lire la ligne en anglais, personne ne se rendra compte de rien 😀 ! Quatre années passées en Corée et rien de familier. Juste le même étonnement qu’on peut observer à se frotter à une culture simplement différente de la sienne à cela près que là, on a l’air « d’en être ». La Corée est un pays tout en contrastes où les matins calmes dissimulent des nuits bien agitées; un pays où une femme respectable ne fume pas en public tandis que sa (très) minijupe ne choquera personne ; un pays où, le jour, les rues sont vierges de détritus et, la nuit, parcourues des vomissements éthyliques d’hommes en costard-cravate-attachés-case ; un pays où la sérénité des temples agenouillés devant Siddharta Gautama Bouddha côtoie la démesure des centres commerciaux vendus à Gucci et Chanel. Alors on passe la semaine à prendre des photos et à observer tout ça avec un regard de touriste amusé, ébahi et parfois très critique.

La visite au HOLT a été plutôt… inconfortable.
Nous sommes accueillis dans un petit amphithéâtre décoré d’une grande bannière bleue où on lit : « Bienvenu dans votre pays natal ».
La faute d’orthographe pourrait faire sourire si la prose ne venait pas nous rappeler que, oui, nous sommes nés là, mais que, non, nous n’y avons pas grandi. Puis on nous diffuse cette vidéo promotionnelle aux relents propagandistes.
Ça manque de modestie, ça respire la communication bien orchestrée… ça me laisse le sentiment que, oui, l’adoption est un bon business. Je m’entretiens avec une travailleuse sociale du HOLT qui ne fera rien d’autre que lire mon dossier : « Désolée, on n’en sait pas plus ». Puis vous allez visiter la pouponnière où on vous colle des petits orphelins dans les bras. Vous ne savez pas tellement quoi en faire de ces petits, vous avez juste envie de lever les yeux au ciel et de demander à celui qui est sensé y être : « Alors, tu lui a réservé quoi, à celui-ci ? ».

Il y a eu le Gathering. Le Gathering, ça fait chaud au coeur parce ça donne le sentiment de rejoindre la grande famille des adoptés du monde. Et puis le Gathering se précise et dessine
une succession imbriquée de replis identitaires: les francophones entres eux, les anglophones entres eux, les américains entres eux, les danois entres eux, etc. et quelques électrons libres pour lier le tout. Nous sommes aussi liés par l’adoption, l’adoption d’origine coréenne. Pourtant, je ne suis pas sûre d’être si différente d’une adoptée malgache ou haïtienne. Mais voilà, c’est ainsi. Nous mènerons des groupes de discussion sur notre « coréanité » en nous tapant mutuellement sur l’épaule avant d’ajouter « C’est tout à fait comme moi, je… ».
Et hop on passe au suivant, comme dans une réunion des alcooliques anonymes. Et ce qui passe, au départ, pour de l’acquiescement m’a rappelé qu’en fait, la vie n’est qu’un combat pour s’emparer de l’oreille d’autrui (M. Kundera Le Livre du rire et de l’oubli). Durant le Gathering, on se demande parfois ce qu’on cherche à nous vendre. Ça a toujours un peu l’air d’être une opération marketing avec ses kakémonos parcourus des logos des sponsors comme on les voit dans les conférences de presse de l’équipe de France de football. Le président de Samsung vient faire son discours et le président d’IKAA lui répond qu’il est persuadé que lui, et beaucoup d’entres-nous, nous sentons si profondément coréens, que nous ne devrions pas tarder à changer notre portable pour un Samsung. Hum… d’où l’on en conclut que notre « coréanité » dépend de la marque de notre GSM.
Le Gathering, ça fait l’effet d’un pied de nez qu’on aurait fait à l’histoire : nous qui sommes sortis par la si petite porte… nous revoilà, debouts, ici, et nous rentrons à nouveau dans l’histoire par la très grande porte du très sérieux LOTTE Hotel dans un étalage de clinquant, de faste, de robes de soirées et de buffets gargantuesques. Ça m’a fait penser à ce guitariste camerounais qui avait donné des cours à l’École américaine de Yaoundé et qui disait : « Quand les noirs-américains se présentent à moi, ils me disent : “Je m’appelle John et… je suis américain”, comme pour être bien sûr qu’on ne mélange pas les torchons et les serviettes. »

Et puis il y a eu la première semaine du reste de ma vie. Une semaine faite de KTX, de Busan, d’orphelinat, d’attente. De commissariat, d’attente. D’un coup de fil, d’attente. Et finalement, des retrouvailles simplement… incroyables, avec maman, ma tante, ma petite soeur. Et puis papa. Papa : comme je lui ressemble Et puis il y a eu l’histoire de ces années dont l’adoption m’a amputée : une sombre histoire de pauvreté, d’alcoolisme, de petit frère « disparu », d’abandon et de divorce. Une banale histoire de misère, donc, mais ces mots-là ne s’adressaient pas à ma petite tête d’adulte : ils venaient réconforter le coeur inconsolable de cette petite fille de 4 ans qui pleure toujours secrètement de se trouver si seule au monde. Et puis il y a eut cette scène unique où, deux parents qui se revoient après 26 années, se demandent mutuellement pardon : l’un pour ce qu’il a fait, l’autre pour ce qu’elle n’a pas su faire.

Et puis il y a eu le retour en France où j’ai partagé, avec ma soeur, la fin d’une « vie en suspension » : nous voilà enfin raccrochées à notre histoire ! Je suis rentrée en Guyane avec 12 heures de décalage horaire et le sentiment apaisant d’avoir, dans mes bagages, une petite pierre précieuse, connue que de nous. Depuis, la petite pierre précieuse n’a pas résisté à l’épreuve du test ADN. Saleté d’argument scientifique irréfutable ! J’avais dérobé un moment de bonheur qui ne m’était pas destiné… Si la vie devait me refuser mes véritables retrouvailles à moi… pourvu que jamais je n’oublie ce qu’il y a eu de rare et de sincère dans ces fausses retrouvailles volées.

Ma petite Corée. Je suis heureuse de t’avoir rencontrée, toi, la laborieuse, l’alcoolique et l’insomniaque.

Quand je te dis Je t’aime, tu me réponds Moi non plus.

J’en n’ai pas fini avec toi.

Ne bouge pas, je viens te botter le c.. !

Je viens dans pays, apprendre langue !

Parce que sache que j’ai deux mots à te dire : il va falloir que tu m’expliques comment tu peux encore laisser partir un millier d’entres nous alors que tu es toute occupée à chercher les Ray Ban assorties à ton Vuitton.

Après, promis, je me mets à boire et on ira oublier tout ça autour d’un Combé-one-shot.

À ma soeur que j’aime et au « plus beau du monde ».